Si nous nous efforçons de nous conformer aux demandes de notre employeur durant le plus clair de notre temps éveillé de l’année, il arrive un temps de grâce où nous sommes libérés de nos contraintes de travailleur et où nous pouvons pleinement nous consacrer à nous-mêmes, à nos proches, à nos projets. Ce repos devenu le saint graal pour les hominidés du 21ème siècle a tant de valeur qu’il est notre bien le plus précieux dans l’ère actuelle : du temps. Nous cherchons à maximiser notre temps de vacances pour en profiter un maximum et en savourer la moindre seconde à 100%. Mais quelle est la meilleure façon de profiter de notre temps lorsque l’on ne doit pas rendre des comptes (dans une certaine mesure) à une hiérarchie, un marché ou à soi-même ? Nombreux sont ceux qui optent pour cette activité qu’est le tourisme, et nous essaierons ici d’en comprendre les motivations, les objectifs, pourquoi pas les vertus qui lui sont attribuées par ceux qui le pratiquent.
L’individu touriste
Avant de parler des touristes, sachons un peu de qui on parle et ne faisons pas de mélanges. Un touriste est une personne qui voyage pour le plaisir. Si je change de métier et que je dois déménager dans une autre ville ou un autre pays pour y exercer mon métier, je ne serai pas qualifié de touriste, tout au mieux d’étranger. De même, si je décide (enfin !) d’abandonner la civilisation pour aller vivre nu dans une forêt, je ne serai toujours pas un touriste. Ce qui va le caractériser, c’est ce côté « détente », « plaisir » ou « repos”, mais ça ne suffit pas. Si en effet, après une longue semaine de labeur, je souhaite me détendre au bistrot de mon quartier aux côtés de Nénesse et Marie-Paule, j’y serai difficilement considéré comme un touriste. Même si je décidais d’aller plus loin, disons dans la ville d’à côté (ou même celle d’encore à côté pour les plus courageux), je ne m’y vois pas en tant que touriste et les locaux non plus. Non, pour être considéré comme touriste, il faut que j’aille dans un endroit dans lequel je ne vais que très rarement, voire jamais. Certes, cela ne dépend pas directement de la distance (on y reviendra), mais ça y est souvent lié car il est tout simplement probable que je connaisse bien les alentours proches de mon domicile. Cependant, si par exemple j’habite en province et me rends à la capitale pour y travailler plusieurs fois par semaine, je n’y serai toujours pas un touriste malgré la distance, et ce même si je m’y rends un week-end pour m’y détendre (quelle drôle d’idée). Plus que la distance, il semble donc que ce soit la nouveauté ou le dépaysement qui soit une condition nécessaire à un individu pour être considéré comme touriste. L’idée globale serait de sortir de sa routine quotidienne pour découvrir quelque chose de nouveau.
On retrouve donc dans le tourisme ces deux prérequis que sont la détente et le dépaysement.
Tu n’es jamais allé à Amsterdam ? C’est absolument fan-tas-tique !
Qui n’a jamais entendu un ami lui parler de ses dernières vacances, vanter son séjour et son lieu de villégiature voire même montrer quelques photos parfois que les souvenirs qu’il en a vous soient transmis ? Si il est fréquent de parler de sa dernière visite dans un lieu exotique, il est très rare d’en entendre du mal. Sans que ce soit impossible, peu de personnes répondraient « exécrables, ennuyantes, sans intérêt » à la question « Comment étaient tes vacances ? ». On donne de la valeur à ce que l’on vient de vivre, même si parfois c’était très moyen en termes de divertissement, de paysage, de peu importe ce que l’on est allé chercher dans ce lieu différent de notre quotidien auquel cas on répondra au moins « je me suis bien reposé » , chose que l’on peut aisément faire chez soi. Il est d’ailleurs probable que la qualité racontée de nos vacances soit proportionnelle à la distance à laquelle on était de chez soi. Si en effet je passe mes vacances à 100km de mon domicile, je m’autoriserai à les regarder d’un œil légèrement critique « oh le resto n’était pas top, la météo capricieuse, etc… » alors que si je viens de passer deux semaines à l’autre bout du monde j’ai intérêt à ce que ça en vaille le coup car bien souvent, le prix augmente en conséquence. On va donc appliquer un filtre nostalgique à nos souvenirs pour n’en conserver que les bonnes émotions. On a besoin de justifier que l’on a dépensé de l’argent et de l’énergie à intensifier notre temps pour ne pas avoir l’impression que l’on peut le perdre. On encense notre séjour de façon à ce qu’il nous apparaisse évident qu’il fût nécessaire. On va même, pour se rassurer de sa décision se vanter auprès des autres du grandiose et de l’exceptionnelle nature de notre voyage pour de cette façon se sentir un peu supérieur à eux, enrichi par notre expérience. En se vantant de nos voyages et de nos vacances, on force les autres à se sentir inférieurs à nous car ils n’ont pas la même expérience, en se positionnant au-dessus d’eux on trouve la justification ultime à nos déplacements.
Le socio-tourisme
Mais pourquoi diable a-t-on tant besoin d’être convaincu du nécessaire de notre aventure ? La plupart du temps, une personne va être en vacances en raison de son travail. Les avancées sociales du siècle dernier ont permis aux travailleurs de profiter de temps payé sans avoir à travailler : les congés payés. Tout comme les vacances scolaires, il s’agit d’un temps privilégié pendant lequel on n’a pas à faire ce qu’est demandé aux autres ou où on attend de nous. On est libre. Si lorsque l’on est enfant on savoure cette liberté au jour le jour avec l’insouciance qui nous caractérise, une fois adulte et plein de responsabilités il devient plus délicat de ne pas se soucier du temps qui passe. En effet, un adulte a conscience que son temps est limité, encore plus son temps libre. Un adulte se demande quel est son but, et bien souvent le travail qui le nourrit ne suffit pas à satisfaire cette préoccupation (on y reviendra une autre fois). On trouve alors dans les vacances l’opportunité d’avoir une occupation à soi, d’avoir son propre but. La question de savoir comment occuper ce temps à soi devient alors bien plus cruciale et lourde de conséquences : si l’on occupe mal son temps ou qu’on le perd, c’est notre histoire toute entière qui s’en trouve amenuisée.
IIl est nécessaire de partager son aventure, de la raconter, de la faire vivre, de cette façon on peut obtenir l’admiration voire la jalousie de ceux qui n’ont pas pu vivre cette expérience. Cela renforce l’aspect unique et exceptionnel de notre voyage, ce qui permet d’y apporter une justification. La vérité c’est que l’on ne sait pas si l’on vit bien ou si l’on fait les bons choix, et avoir les autres désireux de nous renforce notre confiance en nous. Cependant dans le cas du tourisme, la confiance en soi gagnée n’est pas liée à un accomplissement ou une réalisation mais bien à un simple achat de divertissement, ce qui la rend éphémère. La nature même du tourisme le rend limité dans le temps, la confiance en soi qui en découle n’est donc pas pérenne, et elle est bien vite diluée dans le quotidien, surtout qu’une fois que tout le monde est au courant, il n’y a plus personne à qui le raconter.
Le tourisme est donc en plus (et peut être même avant) de l’objectif officiel de détente un outil social majeur et ce surtout à l’ère actuelle des réseaux sociaux. Il nous permet de susciter de l’admiration sans avoir a fournir d’effort ni d’avoir de talent, mais par conséquent n’est que temporaire.